Bien dans mes baskets

Bon, ne passons pas par quatre chemins, je sais que vous voulez le demander. N’ayez pas peur, l’argent ce n’est pas tabou. Alors, combien ça coûte de vivre ici? Est-ce que c’est le paradis du shopping et du pouvoir d’achat? Oui et non. C’est-à-dire que c’est généralement moins cher : le loyer est nettement plus bas (en même temps, c’est difficile de faire plus haut qu’à Paris ; je ne dis pas impossible car à l’impossible nul n’est tenu, mais difficile, je crois qu’on peut admettre qu’il y a consensus sur cette question), on peut manger dehors moins cher – je dirais que c’est à peu près moitié prix – et acheter de la papeterie et des gadgets en folie.

Mais on n’est pas non plus en position d’y aller franco sur la dépense sans plus se soucier de rien. Ne nous imaginons pas que tout est à portée de porte-monnaie non plus, on parle quand même d’un pays aisé et développé. En premier lieu, si vous souhaitez quelque chose « d’occidental », eh bien ça vous coûtera le même prix…qu’en Occident. Voire plus cher. Logique. Et puis il y a toute cette catégorie de choses que l’on peut trouver pas cher si on veut mais qui sinon abordent des horizons de prix similaires aux les nôtres.

Les vêtements par exemple, c’est simple à imaginer : si on chine sur les marchés ou dans les boutiques de bas étage, on trouve pour pas cher. En revanche, si on se dirige vers le centre commercial ou le magasin  classique avec sa collection, il ne faut pas espérer s’acheter quatre pantalons pour dix euros. Eh oui, la vie est mal faite, je sais. Remarquez bien qu’en France c’est exactement pareil, si vous chassez la fringue dégriffée, le bon plan soldé, tombé du camion ou encore l’étalage de vide-grenier, vous trouvez des merveilles pour quelques ronds.

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Voilà le secret : payer pas cher, ça demande plus d’efforts. Il faut fouiller, accepter que parfois ça rate, qu’il n’y a pas nécessairement un vendeur aux petits soins pour vous.  On l’aura compris, faire des économies, c’est du travail. À vous maintenant de considérez vos options :

1 ) Travailler plus pour gagner plus, et aller dans de belles boutiques vous faire plaisir.

2 ) Travailler pareil et vous déplacer, vous embêter à passer du temps à sélectionner  votre garde-robe dans de multiples endroits.

Conclusion évidente de cette alternative : si vous aimez chiner c’est que vous êtes de gauche, et si vous préférez le confort du magasin traditionnel, vous êtes de droite.

Comment ça, c’est pas évident?

Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

Vous aurez beau nier les faits indubitables, il n’en reste pas moins que le conflit fait rage ici aussi! La paire de tennis pratiques et utiles me faisant défaut, je me rendis il y a une dizaine de jours au marché nocturne à côté de chez moi dans l’espoir de faire l’acquisition des dites chaussures, d’une manière ou d’une autre. Et acquisition je fis, d’une paire de Converse rouges. Enfin pardon, excusez-moi, je précise : une paire de « Huanqiu » rouges. En d’autres termes une copie made in China, vous l’aurez compris. Je ne suis pas une amatrice de mauvaises chaussures, loin de là, s’il y a une chose avec laquelle il ne faut pas rigoler, c’est ce qu’on a aux pieds tous les jours – idem pour le manteau, qu’il sera intelligent de choisir un minimum décent puisqu’il vous accompagne au quotidien, mais ce n’est pas le sujet. L’astuce ici, c’est que mes merveilleuses Huanqiu ne coûtent que 200 NTD, c’est-à-dire approximativement six euros, ce qui est particulièrement peu coûteux, même pour ici.

Ça n’empêche pas la suspicion de planer puisque les gens en apprenant la contrefaçon demandent toujours : mais c’est confortable? Question légitime, et en l’occurrence, oui, ça l’est, ce n’est pas la Rolls Royce de la chaussure, mais ce n’est pas plus ni pas moins confortable qu’une véritable paire de Converse. Conclusion : on peut être pingre et bien dans ses baskets.

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Conclusion numéro deux : paradis de consommation, certes oui dans le sens où on peut acheter partout. Le piège est donc bien ficelé parce qu’à force de croire que vous payez moins cher, vous pouvez facilement vous laisser entraîner à faire des folies. On sait bien le caractère irrésistible pour une femme de l’idée de faire une affaire. Je ne juge pas, je me compte dans le lot.

Naturellement, c’est aussi une façon de vivre « local » qu’il faut adopter. Si vous voulez manger des tartines beurrées et du fromage tous les jours, ça va être complexe, et trop cher. Il faut aussi accepter certaines étrangetés, comme le prix du lait (de vache) qui est assez élevé, à peu près deux euros le litre, quoique l’on puisse comme toujours l’acheter en petit format. Le lait de soja vous reviendra bien moins cher, et vous aurez aussi la possibilité de tester des laits multiples et variés. Lait de cacahuète, de haricot noir, de céréales… Sans compter les multiples laits aux fruits, aux noix ou au chocolat, tout cela étant cependant bien sucré, on s’en doute. Et quand j’écris « tout cela », je signifie qu’il faut faire attention à acheter son lait de soja sans sucre, peu sucré ou sucré, comme on achète du lait écrémé ou demi-écrémé. C’est toute une aventure d’examiner le rayon, peut-être est-ce un stratagème pour nous faire prendre froid et rendre riches les médecins en traitements de rhumes. Oui, parce que – détail pour détail – vous serez heureux d’apprendre qu’il n’y a quasiment que du lait frais à Taïwan. Fini le pack de six bouteilles qui se garde six mois, il s’agit de se réapprovisionner régulièrement, ou alors d’utiliser du lait en poudre, ce qui est largement d’usage dès qu’on s’achète une boisson.

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Il y a du courage à trouver pour faire face à ce niveau de vie. Les jeunes vietnamiens qui viennent à Taïwan étudier sont presque tous obligés de travailler. Ainsi mes deux voisines de table font du 19h-minuit tous les soirs de la semaine. Sur les six qui sont dans ma classe, une seule ne travaille pas car elle habite chez sa tante, mariée à un taïwanais. En revanche elle fait une heure de train tous les jours depuis Keelung pour venir en cours, ce qui est absurde et me fait me demander à chaque fois pourquoi elle n’a pas choisi une université qui se situait là-bas. Ce n’est pas mon affaire, mais si vous voulez mon avis, ce n’est pas une affaire. Conclusion évidente : cette jeune fille n’est pas une vraie femme, puisqu’elle n’a pas la notion de ce que c’est que de faire une affaire.

On pourra dire que je n’ai pas à me plaindre puisque, boursière, j’échappe à cette nécessité de travail. De fait, je suis reconnaissante de ne pas avoir à me poser la question parce que mine de rien les journées passent vite et se remplissent sans que l’on s’en rende compte. J’ai tendance à m’éparpiller, je ne m’en cache pas. Néanmoins, l’aurais-je souhaité (et peut-être l’aurais-je souhaité) que je n’aurais pas pu travailler de toute façon, puisque pauvre européenne que je suis je n’en ai pas le droit avant d’avoir passé un an sur le territoire. Et attendez, un mois, deux mois…eh non, ça ne fait définitivement pas assez.

Ce ne sont pas les mêmes attentes qui se manifestent. Étrangement, mes camarades vont rester plus longtemps que moi à Taïwan, ils se souviendront de ma personne comme de la française qui était là les six premiers mois. Ils vont probablement étudier jusqu’à la fin du cursus (il y a cinq niveaux) avant de rentrer et de trouver du travail, peut-être dans une entreprise chinoise au Vietnam. Ou ils vont rester encore, poursuivre les études, s’installer ou rejoindre un bout de famille en Chine. Les destins sont divers, mais il est clair qu’ils s’installent plus ici que moi, dans le sens où ils s’installent un petit monde durable entre eux. Ils ne connaissent pas de taïwanais, et ne cherchent pas spécialement à en rencontrer. Je suis plus ici pour tenter une percée dans le monde asiatique de l’île, sa culture, sa langue, ses habitants. On a du mal à percevoir ce qui motive réellement leur venue à eux, un peu comme si le hasard les avait porté vers ces nouveaux rivages, comme une occasion d’acquérir une langue bien utile, sans regret des universités vietnamiennes qui à leurs dires ne sont pas extraordinaires. C’est une chance de venir à Taïwan pour eux, nombreux  semble-t-il sont ceux qui les jalousent au pays.

Ah, vive Taïwan! Pour la peine, le mot du jour va être extrêmement difficile, mais avec tout ce que vous apprenez, c’est une honte que vous ne soyez pas encore au courant. En effet mes agneaux, vous ne savez toujours pas dire « Taïwan » en chinois! Foi de Carla, je vous livre un scoop, ça se dit…Taïwan!

Quelle surprise hein? Mais c’est ex-tra-or-di-naire! Moi-même personnellement j’en restai médusée. Heureusement, ça se complique au niveau de l’écriture, d’abord parce qu’écrire « wan » est un vrai exercice de patience, ensuite de quoi on vous offre le choix entre une version simple et une version compliquée pour le « tai ». Je vous laisse deviner laquelle on s’acharne à griffonner, mais il est malgré tout utile de savoir reconnaître la seconde.

台灣

臺灣

 

Avouez-le, je suis un professeur génial. Jamais au grand jamais vous n’auriez réussi à traduire Taïwan en chinois, c’était trop imprévisible : ne dites pas le contraire, c’est évident.

On est souvent proche et loin des gens dans le même temps. On peut partager des photos de classes enjouées et fraternelles, et pourtant n’avoir absolument pas les mêmes préoccupations. On peut être rassemblés par le fait d’être tous étrangers en terre inconnue et pourtant ne pas pouvoir parler car on n’a pas de langue commune. On peut avoir une différence d’âge mais le même désarmement devant une règle de grammaire spécialement tordue.

S1350024Tranquille Émile!

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Les joyeux drilles
ou Travailler, c’est trop dur

Attention, cinéma d’auteur vietnamien!

Toutefois j’apprécie de pouvoir avoir des contacts avec des personnes qui sont loin de moi. Je crois que ça ne peux pas suffire, parce que nous autres pauvres humains  avons de temps en temps besoin de sentir la proximité qui nous lie à l’autre. Rentrer chez soi et retrouver quelqu’un que l’on connaît bien, qui vous connaît bien, qui va vous comprendre, pas tant parce qu’il parle votre langue que parce qu’il vous connaît vous et a étudié le vocabulaire de votre vie, c’est important. Mais le vocabulaire de votre vie, il est aussi lié à ces rencontres qui vous font sortir un peu de votre bulle, que l’on s’aventure juste sur le pallier, qu’on rentre dans celle d’à côté ou qu’on aille carrément visiter la petite tout là-bas là-bas, qui se distingue à peine à cette distance. Qu’on y fasse un tour rapide ou un long séjour. Je dis des évidences, pourtant je tiens simplement à me souvenir qu’il ne s’agit pas choisir entre les deux mais de trouver sa balance. Les évidences, c’est ce qu’on a tendance à oublier le plus facilement et à redécouvrir un jour comme si le ciel venait de vous tomber sur la tête. C’est en visitant d’autres bulles dans le ciel bien accroché que votre vocabulaire peut s’enrichir, et votre dictionnaire s’alourdir. Voilà pourquoi vous serez courbé quand vous serez vieux : à force de transporter cet énorme bouquin recensant le vocabulaire de votre histoire, vous allez fatiguer.

Je me demande si ce serait efficace de se mettre à porter le dictionnaire sur la tête, comme les africaines. Est-ce qu’on en garderait le dos droit même à l’âge de la sagesse?

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J’ai tenté le coup : je suis presque à bout du volume un de la méthode de chinois, c’est donc légitime. L’entreprise se révèle ardue de par la non rigidité de l’objet (notez qu’un dictionnaire, c’est plus simple sur ce point). Côté poids le diagnostic est raisonnable, cependant m’est avis que quand on arrive au cinquième volume, ça doit commencer à peser…

Mens sana in corpore sano comme on disait dans le temps, et voilà qu’elle se met à faire du latin, on n’y comprend plus rien on croyait qu’elle faisait du chinois mais elle semble juste avoir décidé de ne choisir que les langues les plus impossibles à se rentrer dans le crâne. Ne vous inquiétez pas, les montagnes et les obstacles ne me font pas peur, jusqu’ici Veni, Vidi et pas encore Vici, mais ça viendra. L’argent n’attend qu’un signe de moi pour couler à flots, c’est évident. Alea jacta est, je vous laisse pour aller braver les murailles et les barricades, ex nihilo je sors mon sabre et je pars afin d’être efficace et qu’a priori ma quête ne dure pas ad vitam aeternam.

Bye bye! ¡Hasta la próxima!

(Et ne dépensez pas trop sur les fins de soldes.)

10 réflexions sur “Bien dans mes baskets

  1. Avec ces prix là, tu pourras au moins faire quelques folies et ramener des babioles à tout le monde, hein ?… 😀

  2. Le temps c’est de l’argent… le temps c’est le bonheur?
    Bon anniversaire en tes bientôt 24 ans!
    Et vive les femmes de coeur, d’esprit et d’affaires chiffons et compagnie

  3. Chère porteuse de livres africaines, vous avez beau parler latin, ecrire en chinois ( l’inverse pourrait être plus simple, pensez-y) ou meme vous essayer à l’anglais sur votre île, n’oublions pas que cette tentative vestimentaire est en réalité une tradition bien de chez nous, et qui remonte a plusieurs années, et due a notre folklore musical, notre exception française oserais-je dire :

    Comme quoi, chassez le naturel, il revient au galop !

  4. C’est super de se retrouver un moment dans les baskets des Forbans!
    ça nous réchauffe un février en attendant la lumière du printemps!
    Merci …

  5. Le voyage au rayon » lait de soja  » rend joyeux,,,,, autant de couleurs , pour des yeux européens , au coeur de l’ hiver ! En plus de l’ argument économique pas négligeable , ç ‘est presque une activité en soi ,de tous les goûter , j imagine !
    Quant aux Huanqiu , elles tromperaient n ‘importe qui ! bien qu’il y ait débat : certains disent que les vraies » converse » sont fabriquées au Vietnam, et non en Chine, ce qui rend plus acceptable que les Huanqiu soient des copies de copies,,,,, Merci pour nous faire découvrir si bien 台灣,,,,,, ( je choisis la facilité !!!)

    • Tout ça devient très compliqué en allers-retours entre les pays… Ouh la la, la mondialisation… Se déculpabiliser d’acheter du Made in China devient un vrai exercice intellectuel! Pas sûr que ce soit la facilité!

  6. Je suis content que tu n’aies pas perdu ton latin en terre de chine, mais cela ne m’étonne pas puisque le Rubicon est 1) facile à franchir 2)symbole de l’acceptation des conséquences de sa décision. Bon, tenons le « ad vitam aeternam » pour transitoire, c’est plus prudent. Selon moi le « mens sana in corpore sano » se pratique mieux dans l’espace (il faut de la place!) que dans le temps. Et, j’en suis bien d’accord, tu as obtenu pour l’instant deux grades, le veni, puis le vedi mais le plus difficile à décrocher est le vici. Bon faudra qu’un peu d’alea t’aide! Enfin faut pas trop croire aux ex nihilo, ils friment souvent mais franchement d’où viennent-ils?
    Salve!

    • Allez, disons que l’important c’est de participer alors, c’est plus rassurant… Alea jacta est, si je ne gagne pas au moins j’aurais eu le mérite de me lancer dans la bataille!

  7. Je rentre de Toulouse et je ne déteste pas les mauvais calembours , : La roche ta(r)péienne est proche du capitole……….. Arx ta(r)peia Capitoli proxima,,,,,, de quoi en perdre son latin,,,,,( je me disais que comme il n ‘y avait pas de R en chinois,,,,,,,

Et vous, qu'en pensez-vous?